La crise s’éternise et a fait son lot de victimes. Et je ne parle pas ici de ceux qui ont payé de leur santé ou de leur vie la maladie. Mais je profite de l’occasion pour avoir une pensée pour eux et leurs proches… Puisse Dieu accorder aux uns une bonne santé, et aux autres Sa Clémence et Son Paradis.
Je fais référence ici aux victimes économiques et sociétales. On nous dit qu’il est naturel que, en cas de crise, nous nous renfermions sur nous-mêmes et que nous nous battions pour nos intérêts. C’est une approche qu’on pourrait qualifier d’égoïste et qui, menée jusqu’à son terme, n’a qu’une seule issue possible : l’anéantissement de tous !
Nous sommes donc face à des choix : prendre seul soin de sa survie, ou collectivement agir pour survivre ensemble. L’égoïsme dans les affaires est quelque chose qui nous a été largement suggéré. Si nous sommes allés dans une Business School, cela nous a été enseigné. Cela nous a été montré comme une bonne chose, comme quelque chose de désirable. Il a été greffé une valeur positive à cet égoïsme. S’il peut paraître normal de prendre des mesures d’urgence en début de crise de façon à préserver la vie de l’entreprise, une fois le court terme passé, il me paraît nécessaire de s’interroger sur l’avenir collectif, au risque de dégrader l’écosystème économique ou sociétal. Par exemple, l’un des premiers budgets qui disparaisse des entreprises en temps de crise, c’est celui de la formation ou de l’accompagnement, alors que, paradoxalement, c’est le moment où elles en auraient tant besoin. Si la crise s’éternise, les formateurs et les consultants ne travaillent plus ou plus assez. Ils ne peuvent plus faire face aux dépenses, aux impôts, aux taxes, aux frais fixes… Las, les plus chanceux et talentueux se recyclent et passent à autre chose. Et lorsque l’entreprise aura besoin d’aller plus loin en formant ses collaborateurs ou en se faisant accompagner, elle ne trouvera plus personne, sauf quelques irréductibles devenus hors de prix ou ceux qui n’étaient pas assez bons pour faire autre chose. Si, spontanément, un certain nombre d’entreprises prendra soin de ses fournisseurs « stratégiques », entendez par là les fournisseurs de matière première, beaucoup n’auront pas les mêmes égards vis-à-vis des fournisseurs qui viennent en support.
Est-ce à dire que c’est aux entreprises clientes de faire tous les efforts ? Non, certainement pas. Les prestataires peuvent apporter leur contribution en adaptant leurs prix aux conditions actuelles. Ainsi, le client et le prestataire font chacun un pas l’un vers l’autre. S’en soucier, c’est permettre aux prestataires les plus fragiles, compte tenu de la dimension moins stratégique de leurs prestations, de continuer à vivre, de continuer à consommer et donc d’entretenir une certaine dynamique économique. Du moins, c’est ce que nous apprend la théorie économique.
Le paradigme de l’économie et des affaires, c’est la « concurrence ». C’est ce paradigme que je remets en cause. La science aujourd’hui a tourné le dos à la théorie de Darwin qui voulait que ce soient les plus forts qui survivent. Elle démontre par l’observation et l’expérimentation que ce sont en fait ceux qui « collaborent » qui survivent. Cette collaboration dépasse la frontière des espèces. On ne compte plus le nombre de collaborations entre animaux ou végétaux d’espèces différentes. Chacune de ces espèces prend soin de l’écosystème et apporte sa contribution à sa remise en équilibre.
Je pense que la crise que nous vivons aujourd’hui nous oblige à remettre en question ces concepts de maximisation du profit, de concurrence et de domination de marché. Ils me paraissent être des concepts récents propices à faire notre propre malheur. Tout tourne autour de l’argent. Il (nous) en faut toujours plus. Cet argent nous rend esclave d’un système et de ceux qui l’ont mis en place et qui n’y sont pas soumis. S’il leur faut de l’argent, ils n’ont qu’à faire tourner la planche à billets. Nous sommes les seuls esclaves de ce système, car nous voulons toujours plus de cet argent dont le niveau est soigneusement contrôlé au quotidien. Si, collectivement, nous voulons nous soustraire à ce système, peut-être nous faudra-t-il trouver d’autres solutions. Certes, le système est plutôt bien verrouillé. Pourtant, certains sont parvenus à créer des monnaies locales, telles la gonette, la livre de Bristol, l’abeille ou l’eusko pour n’en citer que quelques-unes. D’autres ont imaginé des systèmes d’échanges… L’argent n’a que la valeur que nous voulons bien lui prêter. Aujourd’hui, il nous semble que notre survie en dépende. Si c’est vrai, que doivent dire ceux qui ont tout perdu avec cette crise ? Je pense aux restaurateurs, mais aussi à tous ceux, moins visibles, qui ont perdu leurs sources de revenu avec les conditions sanitaires imposées par nos gouvernants, et qui sombrent sous le regard inquiet et apeuré de leurs enfants.
Soyons clairs. Je pense que c’est notre tendance actuelle à la soumission, notre goût pour la conformité et notre propension à la pensée magique qui nous font tomber dans le piège du « chacun pour soi ». C’est l’espoir de mieux nous en sortir que les autres, d’être plus riches, d’avoir plus de biens ou de privilèges, d’avoir de meilleures positions qui nous poussent à cette compétition. Pour nous conforter dans cette vision, nous avons (ré)écrit l’histoire à l’aune de ces croyances. Or, rien, il me semble, ne vient conforter de telles thèses. Par une forme de mimétisme, nous attribuons à nos ancêtres les mêmes penchants que les nôtres. Pourtant, lorsque, par exemple, je lis les Livres sacrés des différentes religions abrahamiques, je ne trouve rien de tel. Ne nous sommes-nous pas fourvoyés ? Cette crise n’est-elle pas là pour nous aider à mettre le doigt nos erreurs et nous inviter à prendre une autre direction ?
Je pense que nous devons réfléchir la vie — notre vie — et nos sociétés différemment. Mais pour cela, il nous faudrait redécouvrir nos traditions, nos modèles de société ancestraux et, surtout, acquérir d’autres réflexes et référents de façon à commencer à penser autrement et agir en mettant la priorité sur la communauté — la Umma, comme l’appellent les musulmans — et non fondamentalement sur notre petite personne et nos proches immédiats.