Dans mon livre précédent, « Intelligence spirituelle et management régénératif » qui est en cours d’édition, je mettais l’accent sur la nécessité de commencer à intégrer, à la prise de décision, des considérations qui dépassent largement les murs de l’entreprise. En d’autres termes, il me paraît essentiel d’élargir le champ de notre réflexion en intégrant d’autres considérations non économiques ou industrielles.
Comme je le dis souvent, la ruche est la « maison » des abeilles. Toutes y ont une place et de quoi survivre. Bien que toutes ne mangeront pas de la gelée royale, toutes bénéficient de la chaleur, de la nourriture et de la sécurité de la ruche. Elle est, en tant que système, au service et au bénéfice de chacune d’entre elles. Dans notre univers humain, notre monde économique et nos entreprises sont notre ruche. Mais il semble que cette ruche veut de moins en moins de ses abeilles. C’est ainsi que des essaims solitaires pourraient être voués à la mort si rien n’est fait pour reconsidérer la question.
Peut-être l’avons-nous oublié, mais notre monde économique est le pôle producteur de nos sociétés humaines. Beaucoup y participent, même si certains se dédient à d’autres missions au profit de la communauté des vivants.
Ce préambule étant fait, j’observe que beaucoup d’entreprises paraissent s’être repliées sur elles-mêmes. C’est vrai que les temps peuvent être vus comme incertains, avec le conflit qui dégénère au Moyen-Orient, mais aussi, au bas mot, la dizaine de conflits en cours pour l’instant dans le monde, le plus populaire étant probablement celui qui oppose la Russie à l’Ukraine. Certaines statistiques affirment que quarante pourcents de la population mondiale vivent actuellement dans un contexte de conflit armé. Face à l’inconnue que représente l’avenir du monde, j’ai l’impression que beaucoup d’entreprises ont choisi de limiter les dépenses, tout en bataillant pour engranger un maximum de profits dans le but vraisemblable de constituer des réserves qui leur permettraient d’accuser le choc si la situation politique mondiale devait prendre un tournant moins heureux.
Mais comme l’essentiel du tissu économique est logé à la même enseigne, chacun essaie d’appeler l’autre pour lui proposer ses produits ou ses services, tout en refusant de répondre à ceux qui en font autant pour eux. Si chacun cherche à vendre, mais que personne ne veut dépenser, alors nous avons un problème.
Dans un monde foncièrement idéaliste, cela ne pourra mener qu’à une situation dans laquelle certains auront de quoi survivre tandis que d’autres resteront exposés impuissants aux éléments. Dans ces conditions, certains seront riches, mais, globalement, nos civilisations seront pauvres financièrement. Si l’État s’en même, alors il tentera d’aller chercher dans les poches bien garnies de quoi aider les autres à survivre. Mais cela risque vite d’être insuffisant.
Si nous voulons survivre, ou tout simplement accuser le choc d’un conflit qui se généraliserait, il nous faut penser globalement. C’est ce qu’avaient fait certaines entreprises durant des périodes de crise, comme celle qui suivit la Grande Dépression de 1929. C’est ainsi, par exemple, que fut créé le Franc WIR en Suisse en 1931. L’idée était, grâce à cet argent qui ne pouvait circuler qu’en circuit fermé, de renforcer le volant d’affaires en favorisant les échanges, ce qui avait pour effet de fluidifier l’économie.
Je ne suis pas occupé à faire l’apologie des monnaies locales et complémentaires. Je sais qu’elles sont interdites dans de nombreux pays. Je souhaite seulement illustrer, à travers elles, le fait que le monde économique est déjà parvenu par le passé à jouer en équipe plutôt que de jouer de façon individuelle.
Évidemment, il y a de nombreux métiers qui viennent en support plus ou moins stratégique de l’activité de l’entreprise. Si on peut se passer momentanément de certains services, il arrive un moment où la facture devient trop lourde à supporter. Pour prendre un exemple trivial, une entreprise peut se passer des services de nettoyage… quelques jours. Après, travailler devient rapidement difficile et très inconfortable.
Pour prêcher pour ma chapelle, il en va de même des services de conseil, de formation ou de coaching. Cela débouche sur du personnel, sincère et volontaire, mais bien mal préparé à embrasser les fonctions qu’il occupe, avec toutes les retombées que cela peut avoir en termes commerciaux, opérationnels et, nécessairement, financiers. Mais comme on a perdu l’art de la mesure, ce sont des coûts et des manques à gagner qui se retrouvent invisibilisés la plupart du temps. Combien d’entreprises cherchent à comprendre pourquoi son chiffre d’affaires stagne ou diminue, sans pour autant être capable de mettre le doigt sur le problème qui peut être à l’origine de ce désengagement de la clientèle ? Pourtant, il suffit parfois d’une personne mal formée apportant une réponse inappropriée, que ce soit au niveau technique, mais ce peut être aussi à un niveau commercial ou tout simplement à un niveau plus inter-personnel, et c’est un client qu’on perd sans comprendre pourquoi.
Rappelons-nous que, si différents métiers existent, c’est qu’ils ont une utilité. Évidemment, chaque professionnel doit mettre un point d’honneur à offrir la meilleure prestation ou le meilleur produit possible, tout en continuant à travailler à devenir un meilleur encore. En même temps, afin de soutenir tout un écosystème économique complexe et nécessaire, il est important de veiller à en garantir la survie en continuant à faire appel à lui. Si vous avez besoin de faire un effort parce que les temps sont durs, beaucoup pourront le faire aussi, car ils voient que vous-mêmes, faites un effort. Veuillons juste à ce que ces professions qui viennent en support ne se retrouvent pas étranglés au point de disparaître, car ce pourrait sonner le début de la fin.
Pour en revenir à un niveau plus général, il me paraîtrait judicieux que chacun s’ouvre à ce que l’autre a à offrir. C’est de nature à entretenir le volant économique. Et si, au niveau individuel, l’entreprise gagne un peu moins (tout en maintenant tout de même un niveau de bénéfice compatible avec la situation économique globale), l’ensemble de l’économie s’en porte mieux, offrant ainsi, idéalement à toutes ses abeilles, la garantie d’un gîte et d’un couvert, sans que l’État ait à intervenir.
Pour le dire avec des mots simples, c’est ensemble que nous survivrons ou c’est individuellement que nous finirons par disparaître…
C’est cela aussi le « management régénératif » : la capacité à prendre des décisions en tenant compte des conséquences que celles-ci peuvent avoir sur nos civilisations, l’écologie ou nos environnements, que ce soit dans l’immédiat et à long terme. C’est un management responsable mis au service de la vie et de la pérennité.