Ce midi, à l’Université, en rejoignant les ascenseurs, j’y ai trouvé un groupe de collègues, et assez rapidement la conversation a pris un tournant plus philosophique, plus spirituel. Nous n’en débattrons pas ici aujourd’hui. Simplement l’idée que j’avançais était que le bonheur est un choix. Pour comprendre mon propos, il faut pour cela (re)visiter certaines notions fondamentales dans la religion afférentes à Dieu et à Ses promesses faites aux hommes. Arrivés au rez-de-chaussée, chacun pris son chemin pour aller déjeuner.
En fin de cours, l’après-midi, toujours en rejoignant les ascenseurs, je croisais un collègue qui me dit que ce que j’avais partagé le midi le faisait beaucoup réfléchir, et nous nous mîmes à en parler. Jusqu’à ce qu’arrivât l’un de nos collègues qui nous dit d’un ton ferme, feignant la plaisanterie, que nous étions samedi, et que nous devions parler d’autre chose. Il suggéra même que nous parlions de foot. Son ton fut si impératif, que notre premier collègue s’arrêta et chacun pris une direction opposée… De loin, je vis partir ce dernier un peu comme un chien s’en irait la queue entre les jambes… Cela me désola.
Qu’est-ce qui fait que la spiritualité doive s’effacer devant les loisirs ? Qu’est-ce qui fait que, dans un monde dans lequel on peut porter en bandoulière son homosexualité, s’affirmer dans ses rondeurs, afficher sa position « non genrée », ou revendiquer le respect de tout autre comportement considéré par le passé comme déviant, l’affirmation de sa spiritualité devient intolérable ? Et surtout, pourquoi acceptons-nous cela ?
Certes, nous n’avons pas à agir avec prosélytisme. Je n’ai donc pas à « convertir » qui que ce soit à ma religion. Est-ce pour cela que je doive, en public, nier qui je suis, ce qui est important pour moi, la vision du monde qui est la mienne ou tout autre besoin qui serait le mien, tant qu’il ne dépossède pas l’autre de ses droits ?
Dans l’expérience d’aujourd’hui, ce qui m’étonne, ce n’est pas que le deuxième collègue suggère que nous parlions d’autre chose. C’est son droit de le penser, de le dire et de le suggérer. C’est même son droit de ne pas vouloir parler de spiritualité. Auquel cas, il pourra simplement passer son chemin. Non. Ce qui est le plus étonnant, c’est que celui qui souhaitait le faire n’ai pas mieux défendu son désir de le faire ou son besoin d’en parler. Y aurait-il quelque chose de honteux à s’affirmer spirituellement, qui plus est dans un pays qui affirme pourtant en article premier de sa constitution la religion qu’il se choisit ?!
Le « mal », si je peux l’appeler ainsi, me paraît plus profond. En même temps, je n’ai pas la prétention ici de tout expliquer. Il serait présomptueux de ma part de prétendre à tout embrasser de mon analyse. Il m’apparaît cependant que l’affirmation de sa spiritualité est devenue un tabou qui a probablement été ancré au prix d’une ingénierie sociale longue, habile et sournoise. Ingénierie à laquelle nous ne nous sommes pas opposés. L’Occident, dont assurément la France, ancien colonisateur et pays laïc par excellence, a œuvré — et continue à le faire — à faire essaimer et entretenir sa vision du monde et de la vie vers ses pays satellites. Et peut-être que, au nom de la soumission à la puissance économique, intellectuelle ou « civilisationnelle » supposée, beaucoup de nos concitoyens ont baissé pavillon. Il se peut aussi que ce ne soit que par courtoisie ou pour prendre de la distance avec l’image diabolisée, forgée par nos opposants, de la spiritualité, des croyants ou des personnes qui affichent leur foi. Leur rhétorique implacable est simple, voire simpliste : croyant égale terroriste en puissance, extrémiste religieux, sous-développé, impuissant intellectuel… Bref, nous avons accepté de nous (laisser) mesurer avec l’étalon de nos opposants, plutôt que d’affirmer notre propre échelle et la défendre dans nos échanges.
Je comprends ce que cela peut avoir d’inconfortable à quelqu’un que de comprendre qu’il ne jouit pas dans notre regard du même respect que nous aimons offrir à ceux que nous considérons pour leur spiritualité. C’est ce que nous pouvons aussi ressentir lorsqu’ils nous regardent avec condescendance ou d’un air réprobateur. Pour autant, cela ne veut pas dire que nous n’offrions pas aux premiers de respect. Au contraire, s’ils le méritent, nous leur en offrons beaucoup. Ce peut être pour leur intelligence, leur sagacité, leurs qualités humaines, leurs talents, leur personne… Mais pourquoi s’attendre à de la reconnaissance pour quelque chose qu’ils ont volontairement choisi de ne pas embrasser ?
Qui plus est, pourquoi la « honte » (supposée) ne devrait-elle n’être que d’un seul côté ? Pourquoi le respect ne devrait fonctionner que dans un sens ? Qu’il soit attendu de moi que je respecte, par exemple, les choix que le peuple français a posés pour lui-même sur son sol est bien normal. Souffrez donc, Mesdames et Messieurs les Français⋅e⋅s (puisque c’est ainsi qu’il convient d’écrire dorénavant dans votre langue pour être en phase avec votre vision supposément évoluée du genre humain), que d’autres peuples aient posé d’autres choix. C’est quoi ce délire que de vouloir militer durant la Coupe du monde pour les supposés droits des minorités homosexuelles et autres positionnements de genre dans un pays qui s’est choisi de voir et de traiter cela comme une abomination ? Vous ne pouvez supporter l’idée ? Excellent ! Qui a dit que vous deviez vous rendre au Qatar ? Nos choix ont des conséquences. Nous pouvons poser tous les choix que nous voulons. Nous ne pouvons échapper aux conséquences de nos choix !
Il est facile de comprendre que, en plus de nous pousser à perdre notre fierté d’être croyant ou de vivre notre spiritualité, le non-croyant qui nous impose le silence se crée les conditions propices à « son » bien-être. Je comprends ce qui peut y avoir d’intolérables pour certains non-croyants que de voir, dans le miroir que sont les autres, sa propre indigence. Si ces derniers parviennent à effacer la spiritualité du paysage, c’est le confort assuré, la non remise en question garantie. En déclarant la spiritualité « persona non grata », les autres que nous sommes ne sont plus pour eux autant de témoins à charge de leurs décisions, autant de miroirs de leur propre indigence, autant de rappels à leur esprit de leurs propres choix, bien peu avisés selon nous.
J’observe, lorsque je parle de spiritualité de façon directe ou indirecte, la grande soif d’apprendre de certains de mes contemporains et concitoyens, le grand besoin inextinguible de se remettre en question dans leur vie, dans leur façon de la vivre, dans les actes qu’ils posent… Peut-être ont-ils besoin de retrouver le courage d’agir différemment. Pouvoir observer quelqu’un le faire, étranger de surcroît, peut en inviter certains à reprendre confiance et à reconquérir le terrain qu’ils ont cédé.
En même temps, l’épisode d’aujourd’hui me montre combien d’entre eux malheureusement vivent dans une prison virtuelle qui les assèche. Ils se sont rendus et se sont laissés jeter aux oubliettes. Impuissants, ils ont vu le geôlier s’éloigner définitivement en jetant les clés… Que de souffrance observée, que de cœurs avides et affamés, devenus secs par une faim tenace et douloureuse… Les cœurs survivent à peine dans les poitrines. Et, selon mon regard spirituel, sans le secours de Dieu, le bilan risque d’être très maigre au Jour du Jugement Dernier. Les cœurs pleurent, mais les cages dans lesquelles ils se sont laissés enfermer sont solides et bien scellées. À moins d’un sursaut de dignité, afficher ou affirmer sa spiritualité restera quelque chose de honteux pour beaucoup qui préféreront, dans un sourire jaune, parler de football ou d’autres plaisirs futiles et stériles qu’a le monde à offrir.
Alors, mesdames et messieurs les terroristes de la pensée, sachez que je respecte vos choix. Pour le coup, vous avez de la chance, c’est Dieu qui m’y enjoint. Vous pouvez choisir de vivre votre vie comme vous l’entendez, dans les limites de la liberté des autres. Je n’agirai pas avec prosélytisme à votre encontre. Je vous garantis, en ce qui me concerne, la pleine et entière liberté de vos choix, de pouvoir vivre de la façon qui vous convient, de voir la vie comme vous l’entendez et le respect de votre refus de toute spiritualité. En même temps, je réclame — mais dois-je vraiment le faire ? — un traitement équivalent. Si vous êtes fiers de vos choix confessionnels (eh oui, l’athéisme ou l’agnosticisme sont des choix confessionnels), sachez que je suis fier des miens. Ce qui ne veut pas dire que je vous les imposerai. Si je dois « souffrir » — et c’est bien normal — de vivre à vos côtés en acceptant vos choix, « souffrez » à votre tour de devoir supporter les miens en me voyant vivre en affirmant ma foi et mon désir, parfois bien imparfait, je vous l’accorde, de plaire à Dieu en tentant de vivre selon ce que je pense et crois être Ses Préceptes ou Ses Recommandations pour les hommes.
Je suis fier de ma spiritualité. Souffrez donc que je la porte en bandoulière et que je m’y réfère dans la conduite de ma vie, dans l’expression de mes choix, dans la mise en œuvre de mes actions.
Ceci étant clarifié, je souhaite à tout un chacun, croyant ou non, fier de l’être ou timide, tout le bonheur du Monde, et une vie dont les réalisations soient à la hauteur de ses espérances.