Ce soir à table, l’actualité s’est immiscée dans la conversation avec cet afflux massif de migrants dans l’enclave espagnole de Ceuta. Ce qui interpellait ceux qui partageaient le pain à cette heure, c’est cette recherche désespérée d’une vie supposément meilleure. Matériellement, peut-être. Humainement, c’est moins certain…
Lorsqu’on aborde ce sujet, on en revient toujours aux mêmes poncifs lénifiants : c’est la misère qui pousse ces gens à migrer, il n’y a pas de travail (en suffisance) au Maroc, il n’y a pas d’espoir… Et c’est là où, à mes yeux, les choses ne sont pas aussi simples qu’il n’y parait. Suis-je occupé à nier les difficultés économiques actuelles ? Certainement pas ! Est-ce que je tente de prétendre qu’il y a le plein emploi au Maroc ? Il semble statistiquement que non ! Le problème, selon moi, c’est qu’on aborde toujours la question en partant du même paradigme. D’un côté, c’est normal, puisque c’est le projet de société qui nous a été vendu depuis notre naissance. Le monde d’aujourd’hui a vendu du rêve et créé des aspirations. C’est normal que chacun soit mû par le désir de les satisfaire. Le seul problème, c’est que cette vision de la vie et de la vie commune n’est pas la seule possible. Mais pour accéder à d’autres options, encore faut-il comprendre qu’il puisse en exister, et surtout accepter d’abandonner la vision du monde qui nous a été proposée. En d’autres termes, il faut accepter de sortir du système, et je comprends que c’est un choix non trivial. En même temps, avec le temps qui passe, allons-nous probablement être de plus en plus nombreux à subir les conséquences des promesses non tenues d’une société qui n’existe peut-être déjà plus.
Est-ce que ces migrants avaient d’autres choix ? Selon moi, oui. Mais pour y accéder, non seulement faut-il changer de paradigme, mais il faut aussi les qualités humaines qui puisse nous permettre de franchir le pas. S’il n’y a pas de travail, si nous sommes exclus économiquement de la société, que pouvons-nous faire ? Par exemple, nous pourrions nous mettre ensemble et cultiver une terre dont on se partagerait les récoltes pour nourrir la communauté. Nous pourrions choisir de travailler main dans la main, en apportant modestement chacun ses compétences sans pour autant sortir les calculettes ou tenir la comptabilité. L’important est de tous survivre. Aujourd’hui, j’ai des carottes, et je les partage avec la communauté. Demain, tu as des tomates, et grâce à cette récolte, nous mangeons tous. Certains ont peut-être quelques talents avec les plantes sauvages ou les plantes médicinales, d’autres avec l’élevage, d’autres encore sont doués pour guérir les gens ou pour enseigner les enfants… Nous pourrions donc recréer des communautés humaines autarciques vivant dans l’entraide et la fraternité. Pour cela, et pour en terminer avec cet exemple, il nous faudrait être capables de faire passer l’intérêt général avant l’intérêt personnel, il nous faudrait être capables de confiance, d’amour, de fraternité, de responsabilité, d’abnégation, de simplicité, de bienveillance, de gratitude, de bonté, d’intégrité, de pardon, d’entraide, d’empathie, de respect pour les anciens, les enfants, les personnes fragiles ou différentes… À bien des égards, nous avons là des comportements assez opposés à ce qui se pratique actuellement au sein de nos sociétés faillies. Malheureusement, plus le temps passe, moins il nous en reste pour acquérir et pratiquer ces qualités.
À bien y réfléchir, ce ne sont pas nos sociétés qui tiennent prisonnières. Elles n’ont pas besoin de le faire. Nous nous en chargeons bien tout seul. Ce sont nos peurs et notre égoïsme qui s’en chargent. Éventuellement, la société propose, comme dans le cadre de cette pandémie dans laquelle elle prescrit la distanciation sociale, et c’est nous qui la mettons en œuvre.
J’ai l’impression que nous sommes tous à la croisée des chemins. Soit, nous nous noierons dans le naufrage annoncé de nos civilisations, soit, ensemble, nous inventerons ci et là d’autres façons de vivre avec d’autres règles. Peut-être reviendrons-nous aux règles traditionnelles de la synarchie ou inventerons-nous quelque chose de différent. Mais ce qui est certain, c’est qu’il commence à être urgent de le faire, car quoi que nous fassions, une poignée de plus en plus ténue d’ultra-riches s’enrichissent au détriment de l’humanité. Il apparaît de plus en plus clairement que l’intermédiaire monétaire est un piège fait pour notre malheur et qui nous asservit. Plutôt que de travailler pour de l’argent, je peux le faire au service des autres. Et si les autres font de même, tout devrait bien se passer pour moi aussi. Utopique ?! Oui, peut-être… Tout est une question de peur ou de confiance. Êtes-vous prêt à commencer à faire confiance aux autres ou votre peur finira-t-elle par vous perdre ?